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Yolande Moreau à Sainte-Jalle

 

Yolande Moreau : trésor (bi)-national vivant du cinéma !

 

         Pour nous mettre à l’unisson de cette période de célébrations nationales, nous sommes allés le 16 juillet à Sainte-Jalle « voir et complimenter Yolande Moreau », à qui était consacrée la sixième édition des “Rencontres des Cinémas du Monde“ de ce petit -267 habitants !- village des Baronnies. 

        Le décor du festival ? A cinq cents mètres d’altitude dans une vallée[1] enserrée par de jolies montagnes qui lui font un rempart, et la font ressembler au célèbre plateau de Lassithi en Crète, le village médiéval de  Sainte-Jalle donne à ces Rencontres une ambiance d’une simplicité rustique tout à fait virgilienne : une belle allée de grands platanes ombreux à la sortie du village en direction du col d’Ey,  une grange tout juste débarrassée de ses engins agricoles transformée en salle de projection et dans le champ voisin le « maquis Conakry » véritable “maquis “ comme il en existe le long de rues de toutes les villes dans l’Ouest africain, abritait sous un barnum les spectateurs qui –toutes les fins d’après-midi, pendant les cinq jours du festival- pouvaient s’entretenir avec Yolande Moreau. Tandis que plus loin, au bord de "L'Ennuyé" la troupe mi hippie, mi écolo de “‘La Guinguette" - tenait son fast-food bio avec son chanteur et son guitariste et d'envoutantes chansons napolitaines...

         Nous avons donc visionné ce samedi le film surprise choisie par Yolande Moreau[2], puis revu « Où va la nuit », film dont Yolande Moreau tient le premier rôle, avant de revoir en soirée –et en plein air sur la place du village, « Séraphine », film lui aussi du réalisateur Martin Provost, et film qui deviendra sans nul doute un film culte qui fera entrer Yolande Moreau dans la légende du cinéma.

        Mais surtout  -et c’est pourquoi nous avions traversé toutes ces montagnes de la Drôme “sauvage“- nous avons pu entendre l’actrice nous parler de ses tournages, de son métier et nous livrer en passant quelques mots qui faisaient mieux comprendre comment elle vivait le cinéma comme comédienne et comme réalisatrice –métier dans lequel elle se sent de mieux en mieux, car il lui permet de saisir tous les multiples aspects dont il faut tenir compte pour exprimer la complexité des gens et de leurs histoires.

          Yolande Moreau est aussi passionnante à voir et à entendre ici sous les platanes de Sainte-Jalle que dans ses spectacles. Sans aucune affectation, elle répond aux questions avec une tranquille sincérité, cherchant toujours au delà des questions à répondre à ce qu’il en est de sa propre vérité. Parfois comme pour s’excuser d’un point de vue trop personnel, elle s’esquive par cette mimique singulière qu’elle sait donner à ses personnages les plus marquants : son visage s’éclaire d’un très large sourire tandis que ses yeux au contraire se plissent d’une curieuse dureté, et lui donne une fugitive apparence de bêtise : c’est une esquive, l’esquive des gens qui n’ont pas de mots pour s’en sortir, ce genre de mimique qui justement donne à ses personnages leur poids de vérité.

           Elle nous dit aussi que depuis qu’elle était toute  petite, elle a toujours voulu être “artiste“. Pourquoi ? s’interroge-t-elle devant nous ? D’abord nous dit-elle « pour être aimée », par besoin d’être aimée. C’est –je crois- la seule vérité vraie de l’artiste, de tout artiste. On se met “en spectacle“ d’abord pour être aimé ; mais pour cela –comme lui disait un de ses professeurs[3] : « il faut aller chercher le Paulo, tout au fond de la salle ». Ce qui veut dire que pour être aimé, il faut aussi vouloir aimer les gens.

          Yolande Moreau dit que ce qui l’intéresse avant toute  chose : « c’est de raconter les gens ». Mais  quand Yolande Moreau nous dit que ce qu’elle aime avant tout, c’est « raconter les gens », on peut traduire qu’elle aime les gens, et c’est pourquoi elle sait si bien les inventer. La phrase que nous avons eu l’occasion de lui citer sur l’amour à inventer que Romain Gary prête à un personnage de son roman “Les cerfs volants »[4], lui a plu, mais pas “l’invention“ qu'on lui attribuerait pour créer ses personnages. Pourtant c’est souvent ainsi que tant de gens manquent d’amour : par un manque d’imagination.

        Mais elle a raison : en ce sens que ses personnages, si déroutants soient-ils de prime abord, prennent avec l’interprétation qu’elle en fait une extraordinaire vérité. Et quand elles sont réussies les inventions des artistes finissent par s’incarner dans la réalité et deviennent vraies. Ainsi Napoléon –esprit réaliste s’il en est, s’est bien vu en Werther –symbole de la passion tragique du romantisme[5], comme il l’a lui même longuement dit à Goethe lors de la célèbre entrevue d’Erfurt.

Et c’est exactement là qu’est le talent, le génie de Yolande Moreau : elle a de façon quasi instinctuelle le sens de la vérité profondément humaine qui est au fond de chaque personne, même –et surtout quand celle-ci est hors des normes habituelles. Sans doute –comme elle le note elle-même en passant : « parce que je suis un peu border line ».

         Elle ajoute toutefois qu’au fil des années, ce besoin d’être aimé s’estompe et fait place au « métier » : le faire et le faire bien (et surtout bien accordé à sa propre vérité) est une valeur qui vous porte à aller toujours de l’avant. Et quand cet amour du métier vous tient, on est heureux …  et on ne pense pas à la retraite !

          Le spectateur non plus ! Car il espère bien que Yolande Moreau –véritable trésor national vivant – et même doublement national : franco-belge !- nous donnera encore longtemps le bonheur de ses créations.

16-19 juillet 2015  

 


[1] - la vallée de « L’Ennuyé » ! un véritable oxymore pour ce charmant cours d’eau, même s’il est certes un peu paresseux !

[2] - dont le choix tient moins à la qualité du film –un vrai nanard !- qu’aux bons et anciens souvenirs que l’actrice a sans doute conservé de sa rencontre avec le réalisateur. Lequel n’a pas su  exprimer la vérité des mythes de son pays comme l’a fait avec ironie Pablo Berger, le réalisateur de cet extraordinaire film : « Blancanieves »,  film pourtant bâti à partir d’un choix esthétique analogue (noir et blanc, parodie des spectacles d’une époque révolue).

[3] - Qu’elle a nommé, mais dont nous n’avons pas retenu le nom. Mais Yolande Moreau –comme on pouvait s’en douter, n’a guère eu de cours de comédie pour sa formation, et n’a jamais fait aucun conservatoire dramatique.

[4] - Où Mr Pinder, un vieil homme explique à Ludo qui aime depuis des années Lila qui a disparu : « Tiens, moi, depuis cinquante ans, je n’ai jamais cessé d’inventer ma femme, je ne l’ai même pas laissé vieillir. En cinquante ans de vie commune, on apprend vraiment à ne pas se voir , à s’inventer et à se réinventer à chaque jour qui passe… »

[5] mouvement littéraire d’ailleurs quasiment inventé par Goethe … qui s’en débarrassera plus tard.

 
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