Terra Antiterra
FILMS 2017
« La Jeune fille à la perle »
Grande-Bretagne/Luxembourg / 2003 / 1h40 / VOST/ LUX- Valence- septembre 17
« Servi par une admirable comédienne, un film qui rend sensible l’art de Vermeer »
RESUME : Au XVIIe siècle, Griet, une jeune servante, est engagée chez le peintre Vermeer. Au fil du temps, elle parvient, grâce à sa vivacité d’esprit, à rentrer dans l’univers du maître. Fasciné par la beauté de la jeune fille, Johannes Vermeer décèle également chez elle une extrême sensibilité à sa peinture. Au point qu’il décide de faire son portrait. Leur intimité attise la jalousie de l’épouse du peintre tandis que les rumeurs enflent en ville…
COMMENTAIRE : Si tous les biopic qui encombrent la production cinématographique actuelle pouvaient être du niveau de celui là ! En réalité ce film n’est pas biopic (d’ailleurs sur la vie de Vermeer, on sait très peu de choses), même si le film a parfaitement reconstitué l’environnement physique et social d’une ville hollandaise du milieu du 17° siècle. Ce qui fait la beauté de ce film et le rend précieux tient à la sensibilité avec laquelle il fait entrer le spectateur dans les mystères de la peinture du peintre de Delft, à partir de ce célèbre portrait de “la jeune fille à la perle“. La force empreinte d’une admirable retenue du personnage de Griet – le jeune servante dont Vermeer fera le portrait portant une perle à l’oreille, doit beaucoup au talent de Scarlett Johansson, une actrice étonnante par sa capacité à incarner admirablement des personnages qui n’ont absolument rien en commun, une actrice qui semble donner le meilleur dans des personnages aussi prenants qu’improbables : l’alien de “Under the skin“, faisant un étrange écho à cette “jeune fille à la perle“.
« Djam »
Réalisation et scénario : Tony Gatlif Avec : Daphné Patakia, Maryne Cayon, Simon Abkarian
France, Turquie, Grèce - 2017 - 1h37 – (le Navire, Valence, Septembre 17)
« un film attachant : extravagant et qui rend heureux »
Résumé : Djam, une jeune femme grecque, est envoyée à Istanbul par son oncle Kakourgos, un ancien marin passionné de Rébétiko, pour trouver la pièce rare qui réparera leur bateau. Elle y rencontre Avril, une française de dix-neuf ans, seule et sans argent, venue en Turquie pour être bénévole auprès des réfugiés. Djam, généreuse, insolente, imprévisible et libre la prend alors sous son aile sur le chemin vers Mytilène. Un voyage fait de rencontres, de musique, de partage et d’espoir.
Commentaires : Un film qui vous touche au cœur par sa radieuse et éclatante générosité. Une générosité qui va jusqu’à l’extravagance et qu’exprime si bien le son du rebetiko, la musique traditionnelle et protestataire de Grèce qui rythme ici tout le film, et chante la noirceur et la beauté mêlées du monde et de la société pour tenir à distance le désespoir de ceux qui ont tout perdu, et que ronge l’exil. Les brèves et étonnantes rencontres que font les personnages tout au long du film, ne sont pas si invraisemblables que cela pourrait paraître. Et Daphne Patakia dans le personnage solaire de Djam offre l’éclatant visage de la liberté, et sa révolte saisissante d’énergie joyeuse fait d’elle une extraordinaire « sans culottes » (au sens propre comme au figuré !). Voilà un film habilement foutraque qui rend heureux. Rare !
BIOS : * Daphné Patakia -belge de parents grecs, née en 1992, a fait ses études de comédienne au Théâtre national de Grèce d'Athènes dont elle est diplômée en 2013. Elle joue alors dans plusieurs films grecs avant d'orienter sa carrière vers l'international en s'installant à Paris.
* Tony Gatlif, (nom de scène de Michel –Boualem- Dahmani), est un réalisateur français, également acteur, scénariste, compositeur et producteur de films. Tony Gatlif est né d'un père kabyle et d'une mère gitane.Il arrive en France en 1960 durant la Guerre d'Algérie. S'ensuit un parcours difficile et éclaté, qui ira de la maison de redressement à une rencontre avec l'acteur Michel Simon en 1966, en passant par des cours d'art dramatique. Il joue alors dans des pièces de théâtre puis réalise son premier film en 1975, La Tête en ruine. À partir de 1981, il aborde le thème qu'il approfondira de film en film : les Roms du monde entier, dont il devient à bien des égards le chantre, séduit par une « communauté en mouvement » et par un « univers sonore et musical » d'une très grande richesse et d'une grande diversité. Manifestement étranger à l'idée d'un rattachement exclusif à une communauté, Gatlif se définit lui-même comme un « méditerranéen ». Il est fait chevalier de la Légion d'honneur par Fleur Pellerin le 30 mars 2015.
« Crash test Aglaé »
Réalisation : par Eric Gravel Acteurs : India Hair, Julie Depardieu, Yolande Moreau, Anne Charrier, Frédérique Bel
France 1h25, sortie nationale le 02/08/2017 (Le Navire –Valence, 3 août 2017)
« Un film sympathique : déjanté un peu, humain beaucoup »
RESUME : L'histoire d'une jeune ouvrière dont le seul repère dans la vie est son travail. Lorsqu'elle apprend que son usine fait l'objet d'une délocalisation sauvage, elle accepte, au grand étonnement de l'entreprise, de poursuivre son boulot en Inde. Accompagnée de deux collègues, elle va entreprendre un absurde périple en voiture jusqu'au bout du monde qui se transformera en une improbable quête personnelle.
COMMENTAIRES : Voilà un film sympathique –un mot qu’il est de plus en plus difficile d’employer pour qualifier les films d’une époque qui ne sait que nous plonger soit dans des scènes de violence sadique soit dans les drames ressassés du couple ou de la famille. Voilà aussi un film foutraque et déjanté (on ne s’étonne donc pas d’y voir Yolande Moreau), qui se fiche de la vraisemblance. Ainsi l’héroïne traverse l’Himalaya à pied, sans bagages (sauf le minimum : son smartphone -of course !) et simplement vêtue d’un blouson… Mais un film qui respire la vraisemblance humaine et celle de chaque génération avec leurs valeurs refuges dérisoires mais réconfortantes : la sécurité et la propreté pour Marelle (Yolande M .), le couple et la maternité pour Liette (Julie Depardieu) … et tout simplement pour Aglaé (India Hair) l’obsédante volonté d’exister…et de donner un sens à sa vie …. quel qu’il soit pourrait-on comprendre : continuer son métier avec des mannequins de crash tests, ou de transmettre la carte postale d’éléphant promise à un gamin de comédiens ambulants rencontrés par hasard au Kazakhstan.
BIO : l'actrice India Hair est née en 1987 à Saumur dans la région du Pays de la Loire d'un père américain et d'une mère anglaise. Après son obtention d'un baccalauréat option théâtre, elle entre au conservatoire de Nantes d'où elle sort diplômée en 2007, puis intègre le prestigieux Conservatoire national supérieur d'art dramatique de Paris. En 2010, India Hair trouve son premier rôle dans le thriller neigeux Avant L'aube porté par Jean-Pierre Bacri et Vincent Rottiers. La jeune actrice y campe la petite amie du second. Un an plus tard, elle reçoit le Prix Lumière du meilleur espoir féminin et glane une nomination au César du meilleur espoir pour sa prestation d'Alice dans Camille Redouble, une comédie originale mise en scène et interprétée par Noémie Lvovsky qui réalise un véritable carton lors de sa sortie en salles. Forte de ce succès, India Hair enchaîne les seconds rôles dans les comédies (Divin Enfant, Jacky au Royaume des filles ou Chic !. Et dans des registres plus dramatiques comme avec Le Beau monde, Peur de rien, L'Astragale et surtout l'étrange Rester Vertical dans lequel elle tient le rôle féminin principal, celui d'une bergère avec qui le personnage principal campé par Damien Bonnard a un enfant.
Et à l’opposé deux films inquiétants, où des aliens mettent en scène l’inhumanité des désirs des humains.
Mais deux films très différents :
« Under the Skin » de Johnathan GLAZER, sorti en 2013 est le plus abouti sur le plan esthétique et par la grâce aussi d’une actrice –Scarlett Johnasson- étonnante … de vérité (si l’on ose dire !) dans son personnage d’alien qui explore ce qu'on peut faire des humains. Etrange mais très prenant. (vu sur Arte)
« La Région sauvage » de Amat Escalante. Ce film mexicain qui vient de sortir en France, est un curieux mélange. Si le décor est bien mexicain, ce que le film montre relève des dérives du désir dans une économie mondialisée qui pousse l'individualisme au delà de toutes limites (sociales ... et humaines) . Et si l’intrigue est d’un réalisme assez pesant (cul et bouffe), ce réalisme gay mais pas gai est de plus troublé et d'une façon inquiétante par une créature mystérieuse. Un film qui intrigue, mais qui met très mal à l’aise. Bref, la curieuse jouissance que les protagonistes tirent de la bestiole extraterrestre ne leur profitera pas plus qu'au spectateur ... (Le Navire, août 17)
Et un film qui est plus un documentaire sur la vie (peu enthousiasmante) dans les pays de l'Est européen
qu'une véritable fiction et un film qui le spectateur assez dubitatif. Pas indispensable !
"OUT" de Grigöry Kristof
Heureusement il y a encore des cinéastes qui font des films qui réconfortent le spectateur :
« Visages Villages »
Réalisation : Agnès Varda, JR (documentaire, France, 1h30, 2017) –le Navire -juin17
« Une rencontre entre deux artistes de l’image, et les joies et les vertus du partage »
SYNOPSIS ET DÉTAILS : « Agnès Varda et JR ont des points communs : passion et questionnement sur les images en général et plus précisément sur les lieux et les dispositifs pour les montrer, les partager, les exposer. Agnès a choisi le cinéma, JR connu mondialement pour coller ses immenses photographies sur des maisons, des ponts, des monuments a choisi de créer des galeries de photographies en plein air. Ils se sont rencontrés en 2015, et ont aussitôt eu envie de travailler ensemble, tourner un film en France, loin des villes, en voyage avec le camion photographique (et magique) de JR. Ils désirent aller à la rencontre des gens, leur parler, les photographier, développer les photos et les afficher en grand dans leurs lieux de vie. Hasard des rencontres ou projets préparés, ils sont allés vers les autres, les ont écoutés, photographiés et parfois affichés. JR et Varda croisent des ouvriers, des agriculteurs, une vendeuse. Agnès Varda voudrait également que JR montre enfin ses yeux, toujours dissimulés derrière des lunettes noires, comme ceux de Godard saisis par A.V. lors du tournage de «Cléo de cinq à sept»... Le film raconte aussi l’histoire de leur amitié qui a grandi au cours du tournage, entre surprises et taquineries, en se riant des différences. »
COMMENTAIRES : Voilà un film qui respire et inspire la sympathie. On s’y sent très vite : “ensemble“ –sentiment curieux et aussi rare dans la vie qu’au cinéma. Ensemble à partager au petit bonheur des moments de bonheur … éphémères mais qui recèlent quelque chose de réconfortant, même si l’on aurait du mal à définir en quoi consiste le réconfort qu’ils apportent Et la rencontre improbable d’AV et de JR –fort dissemblables à de multiples points de vue (ne serait-ce que par l’écart générationnel), apparaît pourtant assez rapidement au spectateur comme une éclatante évidence. Car ce qui réunit ces artistes-brocanteurs au style assez foutraque, c’est d’un côté de savoir –d’instinct pourrait-on dire- ce qui nous touche et nous émeut au sein de l’ordinaire quotidien, et de l’autre l’envie du partage et la foi dans ses vertus. Savoir repérer le génie des lieux et des gens dans l’ordinaire des paysages et le morose de la société est un art premier, le rendre sensible –tangible- par l’image en est un second. Réussir à y faire participer les gens, semble être un résultat miraculeux, mais le miracle repose au fond sur la confiance en un besoin de partage. Besoin que l’on trouvera –comme le film et les réalisations antérieures d’AV et de JR le démontrent- avec plus de spontanéité et de sincérité chez les gens qui vivent dans les nécessités du quotidien et dans le désir latent de s’en évader. C’est sans doute pourquoi les personnages réels et vivants de ce film sont ouvriers/ouvrières, vendeurs ou vendeuses, agriculteurs/agricultrices, éleveurs et éleveuses de chèvres…
Il y a deux très beaux moments, deux très belles images dans ce film : les magnifiques portraits des blondes épouses de trois dockers du Havre reproduits sur un gigantesque mur de containers maritimes, portraits qui sont également les symboles forts d’une solidarité ouvrière. Et l'installation, encore plus éphémère que les autres -pour cause de marée, sur le bunker d'une plage normande, d'un magnifique portrait, signé Varda en 1954, de feu Guy Bourdin (son ami photographe, qui habita là).
NOTE : Le film d’AV&JR n’est pas sans faire écho au film « LES HABITANTS » que Raymond Depardon a réalisé en 2016. Il existe bien des ressemblances entre ces deux films. Dans les deux cas il s’agit de documentaires sur les Français ordinaires et sur la vie telle qu’elle coule, mais aussi de documentaires filmés par des auteurs qui sont d’abord des photographes. Des films qui constituent une sorte de “Journal de France“ (titre d’ailleurs d’un autre documentaire de Raymond Depardon). Mais curieusement alors que Raymond Depardon qui depuis des années a constitué une véritable encyclopédie photographique des paysages et des habitants ordinaires de la France, s’attache peu aux images dans son documentaire –intitulé justement : “les habitants“ , mais se focalise sur la parole et nous montre comment les gens s’en sortent -avec leurs propres mots. Ce qui permet de voir le film d’AV&JR plutôt comme une sorte de vaste et mouvante “installation“ artistique, avec une dimension de spectacle, de mise en scène de la vie, qui est délibérément absente du film de Raymond Depardon qui vise plus l’authenticité documentaire. Mais l’un comme l’autre de ces films contribuent chacun à leur manière à offrir de notre pays une vision nouvelle, rafraichissante … et réconfortante.
« La jeune fille et son aigle »
Réalisation et scénario : Otto Bell (Mongolie-GB - 2017 - 1h27 – Vost) Le Navire, avril 17
« Vivent la Mongolie, ses steppes magnifiques, ses aigles et le caractère de ses filles »
Résumé : « Certaines ados ont un lapin, ou un cochon d'Inde, Aisholpan, 13 ans, gamine aux joues rondes et roses et au caractère bien trempé, élève un aigle. Elle est hors norme, même pour sa Mongolie natale, où le dressage de ces nobles volatiles est un sport national, réservé aux hommes depuis la nuit des temps. Déterminée, soutenue par son père dresseur d’aigles réputé, Aisholpan sera la première fille à faire voler son oiseau au-dessus des préjugés… ». (Télérama)
Commentaires : On n’insistera pas trop sur le message féministe que ce documentaire très scénarisé délivre dans un emballage exotique “artistiquement“ mis en scène. Il enjolive aussi quelque peu une vie nomade qui est train de disparaître de ce pays, et il exagère l'opposition à laquelle Aisholpan a dû faire face en tant que chasseuse, car d'autres femmes et jeunes filles se sont entraînées dans cette discipline auparavant. Mais ne boudons pas notre plaisir, voilà un beau film avec des personnages attachants et de magnifiques images des paysages somptueux et sauvages de la Mongolie.
« SAGE FEMME », film de Martin Provost
avec Catherine Frot et Catherine Deneuve (France, Belgique - 2017 - 1h57) Le Navire, 27 Mars 17
« un beau film, bien au delà d’un simple numéro d’actrices »
RESUME : Claire est la droiture même. Sage-femme, elle a voué sa vie aux autres. Déjà préoccupée par la fermeture prochaine de sa maternité, elle voit sa vie bouleversée par le retour de Béatrice, ancienne maîtresse de son père disparu, femme fantasque et égoïste, son exacte opposée.
COMMENTAIRES : Un film qui n’est pas un simple numéro d’actrices, même s’il repose entièrement sur le talent des deux Catherine, car on y sent passer un souffle rare de vérité sur la vie sociale dans la France d’aujourd’hui… et le souffle de la vie tout simplement … et bien entendu depuis sa naissance…
« SHIRLEY, un voyage dans la peinture d’Edward Hopper »
Film de Gustav Deutsch. Avec : Stéphanie Cumming (Shirley/Jo) Christoph Bach, Florentin Groll, Elfriede Irrall, Tom Hanslmaier (Autriche , 2014, 1h33 vost / au Lux le 22 mars 17)
En hommage à la peinture d’Edward Hopper et à la vie quotidienne américaine des années 1930 aux années 1960, le cinéaste a procédé à la mise en scène de treize de ses tableaux, leur donnant vie et restituant le contexte social, politique et culturel de l’époque à travers le regard du personnage féminin, Shirley, (Shirley évoquant Jo : Josephine, l’épouse et unique modèle du peintre).
Ce film est une gageure à la fois réussie et inutile. Il réussit assez bien à restituer le lent mouvement qui dans la vie a abouti à chacun de ces treize tableaux, mais en définitive le film n’apporte rien de plus que ce que la contemplation de chacune de ces toiles apportait déjà au spectateur. Le mystère de la peinture de Hopper est là certes (réussite donc), mais la lente mise en mouvement de la préparation de la toile et les citations du “background“ littéraire et de l’actualité restituée de l’époque ne font que confirmer l’insondable mystère du pseudo réalisme du peintre. Ce qui nous fascine chez Hopper et nous attache à ses peintures, c’est justement qu’elle fixent en une image cet irréductible mystère du familier.
Un film réservé aux irréductibles de Hopper assez passionnés pour patienter devant le mystère qu’il ne cesse de peindre.
« DRÔLES D’OISEAUX »
Réalisation et scénario : Élise Girard ; Avec : Jean Sorel, Lolita Chammah, Virginie Ledoyen
France - 2017 - 1h10 Le Navire –Valence, juillet 2017
« charme et nostalgie légères »
RESUME : Belle, jeune et pleine de doutes, Mavie cherche sa voie. Elle arrive à Paris et y rencontre Georges, libraire au Quartier Latin depuis quarante ans. Solitaire, comme caché dans sa boutique où personne ne vient, Georges l’intrigue et la fascine. Aussi improbable qu’inattendue, leur histoire d’amour va définitivement transformer le destin de ces deux drôles d’oiseaux.
COMMENTAIRES : Pas un film pour les agités qui veulent de l’action. Car il se passe peu de choses ici, juste le charme de laisser le temps au temps … un art qui devient rare. Ceux qui ont connu dans les années soixante l’antre de la rue Saint Séverin où Marcel Béalu entassait ses livres y ajouteront la nostalgie d’un Paris qui est en train de s’évanouir.
et rappel sur TV Arte d’un film épatant : « Quai d’Orsay » de Bertrand Tavernier :
Une belle illustration de la comédie du pouvoir en France. Louis XIV et sa cour reste bien le modèle fantasmé par tous nos gens de pouvoir. Dominique de Villepin qui a parfaitement incarné ce modèle est joué ici par un autre excellent acteur (Thierry Lhermitte), entouré d’une pléiade d’autres très bons comédiens. Un film (sorti en 2015) qu’on aimerait revoir dans les salles. (sur Arte le 19 mars 17 )
l’année 2017 avait bien commencée, avec …
« PATERSON » de Jim Jarmusch
Avec : Adam Driver, Golshifteh Farahani, Kara Hayward (États-Unis - 2016 - 1h58 – VOST) Le Navire, Valence, 1/01/17
« Jim Jarmusch : le Modiano cinématographique de la Côte Est ? »
RESUME : Paterson vit à Paterson, New Jersey, cette ville des poètes, de William Carlos Williams à Allen Ginsberg, ville aujourd’hui en décrépitude. Chauffeur de bus d’une trentaine d’années, il mène une vie réglée aux côtés de Laura, qui multiplie projets et expériences avec enthousiasme et de Marvin, bouledogue anglais. Chaque jour, Paterson écrit des poèmes sur un carnet secret qui ne le quitte pas…
COMMENTAIRES : Paterson, est un hommage de Jim Jarmusch à la poésie américaine. Une poésie qui avec la simplicité des mots du quotidien a su le mieux exprimer la spécificité de cette nation mélangée, à la fois positiviste et violente. Comme le final du film face aux chutes de la rivière Passaic l’évoque par cette conversation de Paterson avec un poète japonais, la poésie de l’ « Amerikke » est en définitive plus proche de celle des haïkus que de l’extraordinaire exaltation de ce puritanisme inversé de la géniale Emily Dickinson (qui fût l’alter ego et la contemporaine de Rimbaud). Génie aussi de ce cinéaste qui sait rendre la tendresse de la vie sous la banalité assez « niaiseuse » des mots de tous les jours. Et pour échapper à ces films d’action décourageants de bêtise et de violence dont on nous inonde, profitons de la sortie de ce beau film pour revoir Jim Jarmusch dans « Coffee and cigarettes » ou « Down by law », et pour lire "Paterson" le poème éponyme que William Carlos Williams a consacré à cette ville de poètes.
« Le ruisseau, le pré vert et le doux visage », de Yousry Nasrallah
Avec : Laila Eloui, Mena Shalaby, Bassem Samra
(Egypte - 2016 - 1h55 – VOST) Le Navire, Valence, janvier 17
« un film dans la meilleure tradition du cinéma égyptien »
RESUME : Yehia est chef cuisinier. Avec son fils Refaat, passionné de recettes et de saveurs, et son cadet Galal, coureur de jupons, ils préparent des banquets pour des cérémonies de fête. Lors d’un mariage paysan orchestré par Yehia et ses fils, au cours duquel se dévoileront des amours secrètes, un homme d’affaires de la région et sa riche épouse proposent de racheter leur commerce. Devant le refus de Yehia, la proposition tourne à la menace...
COMMENTAIRES : Une tranche de la vie populaire égyptienne, une tranche de vie joyeuse, sensuelle ... et bien saignante !Tout à fait dans la tradition de ce pays musulman, mais non arabe, et qui participe depuis deux mille ans aux cultures de l'Orient et de l'Occident qui se sont si bien mélangées ici. Un pays qui a su se ménager les accommodements qu'il est nécessaire de faire avec les diktats religieux ou moraux, au prix il est vrai d'une corruption généralisée de la vie publique. Avec ce beau film Yousry Nasrallah s'inscrit définitivement dans la grande tradition culturelle de l'Egypte moderne, qu'ont si bien illustrée au cinéma Youssef Chahine et en littérature Naguib Mahfouz (prix Nobel 1988), Albert Cossery et Alaa El Aswany ("L'immeuble Yacoubian“).
En janvier 2017 le LUX nous a présenté FESTIV-ITA, son 4e Festival du cinéma italien :
Avec des films de jeunes cinéastes italiens, oeuvres de jeunesse avec tous les défauts qui vont avec. On sent trop –hélas- que ces jeunes réalisateurs ont “voulu bien faire“, étaler leur maîtrise technique, montrer qu’ils pouvaient bouleverser les codes cinématographiques. Résultat, ils ont oublié que le cinéma s’adresse à des spectateurs. Le cinéma -comme la littérature- est pas seulement art, mais aussi communication.. Dommage car certaines images et certains des thèmes traités étaient prometteuses
De ce FESTIV-ITA on retiendra deux films qui ont tenu leurs promesses :
* « L’Ultima spiaggia », de Thanos Anastopoulos et David del Degan (Italie/Grèce | 2016 | 2h | VOST). Des cinéastes qui ont su -ce qui est rare car ce n’est pas facile- mettre assez en confiance les baigneurs du Pedocìn, (cette plage populaire de Trieste, où hommes et femmes sont séparés par un mur de béton !), pour que chacun amène sa vie et avec leurs propos sur les frontières, les identités et les générations, font de “L’ultima Spiaggia“ une tragi-comédie sur la nature humaine. Juste une toute petite remarque, le film n’aurait que gagné à s’en tenir à la traditionnelle durée des films (rarissimes sont depuis les débuts du cinématographe les films qui justifient une plus longue durée).
* « Le Confessioni » film de Roberto Andò (avec Toni Servillo, Pierfrancesco Favino, Marie-Josée Croze, Lambert Wilson, Daniel Auteuil - Italie | 2016 | 1h40 | VOST). Un film plus abouti et surtout plus ambitieux, servi par d’excellents acteurs. C’est aussi une fable sir le monde des gens de pouvoir qui dirigent la marche du monde. Fable avec bien sûr sa morale, à laquelle le talent de Toni Servillo nous permettra de croire (un moment au moins…). Le sujet : une réunion extraordinaire à huis clos à laquelle assistent les principaux ministres de l’économie du G8, ainsi que le directeur du FMI Daniel Roché. Parmi eux, trois invités un peu particuliers, dont un moine italien. Alors que la réunion prend bonne tournure pour adopter une manoeuvre secrète, Roché est retrouvé mort après s’être confessé au moine qui est à la fois prisonnier et protégé par le secret de la confession. Les politiciens vacillent les uns après les autres dans ce climat de doutes et de crainte.
*Par contre on oubliera vite : « Bella e perduta » film de Pietro Marcello : là c’est le réalisateur qui s’est perdu et a entrainé le spectateur dans cette perte. Et « Il Gesto delle mani » documentaire de Francesco Clericci : ce qui manque cruellement dans ce documentaire, c’est la parole. Il est pourtant certain que chacun des ouvriers qui contribuent à cet antique et extrêmement délicat travail de création d’une sculpture en bronze, aurait pu en disant quelques mots donner plein sens à un ouvrage que le film ne fait que rendre obscur. Le réalisateur était visiblement trop focalisé sur son propre ouvrage pour accéder au sens des différentes étapes du travail que ces ouvriers auraient pu faire partager au spectateur. Comme Leandro Picarella s’est perdu dans ses visions narcissiques de « Triokala »
Enfin quelques mots sur la récente rediffusion télévisuelle d’un « film culte » : « Apocalypse now » de Francis Ford Coppola (1979)
Je n’ai pas du tout aimé le film (que je n'avais pas vu à sa sortie en salles), ni Coppola (dont un docu de son épouse racontait son tournage du film), parce qu’il confirme la puissance qu’ont les images sur les affects au dépend de la réflexion. Car les images s’imposent au spectateur contrairement aux textes qui requièrent une participation du lecteur. Mais on doit en même temps tirer un chapeau à Coppola : ses images s’impriment fortement dans l’imaginaire du spectateur. Et c’est la clé du succès du cinéma américain –dont « Apocalypse now » nous en donne une exemplaire et fascinante démonstration, il sait imposer ses images, comme les USA savent imposer leur force militaire : par un effet de masse. Coppola nous submerge par ses images, comme l’aviation US écrase avoeuglément tout ce qui bouge. Mais Coppola montre aussi à quel point la guerre c’est épatant pour les guerriers, affranchis de toutes les règles (surtout dans les guerres post-modernes et dans les guerres civiles) et qui peuvent se croire ainsi libres puisqu’ils peuvent ainsi donner cours aux tendances de l’espèce humaine que la société se donne pour but de réprimer hypocritement (en en faisant un privilège accordé à certains quand cela sert les intérêts des pouvoirs en place –voir la thèse de Gros-Martinez). A propos du tournage d’« Apocalypse now » aux Philippines, le documentaire rappelle qu’il a eu lieu sous la dictature de Marcos qui fournissait les hélicos de combat (lesquels à la colère de Coppola- quittaient parfois le tournage pour aller combattre à 5 km de là la rébellion communiste). Coppola lui même reconnaît qu’il n’aurait jamais pu faire ce film que dans un pays du sud-est asiatique où le fric dont il disposait permettait tout. L’histoire de ce film confirme que la liberté de l’artiste peut être dangereuse pour la société et souvent pour l’art lui même, surtout quand la réalisation de l’art en question exige des moyens exorbitants. Ce qui est presque très toujours le cas pour le cinéma. Et de plus en plus pour les « réalisations » artistiques de notre temps : voir les concerts gigantesques en plein air, les ballets pour l’ouverture des JO, le Land Art, et les multiples manifestations « prestigieuses » de la « geste architecturale » (considérées aujourd’hui comme un art alors qu’elles ne font que reproduire l’antique modèle des pyramides pharaoniques). A noter : sur la guerre (française celle-là) et sur le Vietnam, le film -presque méconnu aujourd'hui- de Pierre Schondorffer : "La 317° section" en dit plus sur la guerre et sur le Vietnam qu'Apocalypse now, et avec plus d'économie de moyens, plus de retenue dans les gesticulations d'acteurs et plus de finesse et de sensibilité sur les situations de guerre.
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