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PIERRAKOS Maria : « La “tapeuse“ de LACAN »,

PIERRAKOS Maria : « La “tapeuse“ de LACAN »,

L’Harmattan, Collection Psychanalyse et civilisations dirigée par Jean NADAL

(2003, 79 pages, ISBN : 2-7475-5031-1)

« Un ouvrage rare et précieux sur la mythologie Lacanienne »

Biographie de l’Auteur : Psychanalyste et psychosomaticienne, membre du Collège International de Psychanalyse et d'Anthropologie et de l’Institut de Psychosomatique de Paris, Maria Pierrakos a commencé sa carrière professionnelle comme sténotypiste de conférences et, à ce titre, a été pendant douze ans la sténotypiste de Lacan.

PRESENTATION : « C’est cette expérience qu’elle relate dans ce petit livre écrit d’une plume alerte, expérience dont elle n’a pu approfondir le sens que quand elle est devenue elle-même analyste, non lacanienne. Les deux positions successives vécues par l'auteur donnent à ce livre sa singularité.

Sa critique nuancée mais sans concessions du système lacanien ne manquera pas d’intéresser tout lecteur désireux d’approcher l’un des phénomènes les plus curieux de notre époque : l’engouement d’une grande partie de l’intelligentsia française pour ce qui s’est révélé être à la fois un corpus théorique, une idéologie et une pratique thérapeutique et dont les effets, discutables à bien des égards, se font sentir encore aujourd’hui dans de nombreux domaines. » (Quatrième de couverture)

COMMENTAIRES : On ne saura jamais assez remercier Maria Pierrakos d’avoir livré aux lecteurs un témoignage si éclairant sur cette mythologie Lacanienne, qui a fasciné l’intelligentsia du monde entier dans les années 60 à 80 (même si son origine est très caractéristique du milieu germanopratin sachant mixer politiques, intellos, artistes et même hommes d’affaires). A l’époque de ses séminaires (ouverts à tous pendant assez longtemps), on pouvait voir Lacan dans son “one man show“ hebdomadaire, un spectacle littéralement époustouflant, mêlant mimiques, formules algébriques brusquement griffonnées au tableau noir, mots d’esprit déroutants et “vérités“ stupéfiantes. L’auditoire réunissait une foule hétéroclite, tous “lacaniens“ bien sûr : la garde prétorienne des affidés gardiens du temple, la cour des disciples qui avait “les mots“ du “maître“ (assez pour être dogmatiques, même si le fond de la pensée lacanienne leur échappait), les analysants et les analysés à l’affût d’une “clé“, comme les apprentis philosophes et les maoïstes cherchant à consolider leurs théories, ... et les curieux et les amateurs du spectacle.... Maria Pierrakos était particulièrement bien placée –comme sténotypiste- pour apprécier le double spectacle de l’artiste et de son public. Et ultérieurement son regard de psychanalyste soucieuse de l’éthique de son métier lui a permis de voir lucidement la part de pouvoir qui pervertit le corpus théorique qu’a développé Lacan.

EXTRAITS :

 « A quel moment Lacan a-t-il oublié, dans ses constructions de plus en plus élaborées, le but ultime de la psychanalyse : la délivrance du prisonnier, la victoire contre les forces d’oppression de la vie psychique ?       

L’auditoire m’apparaissait tantôt comme un ensemble de souris aux moustaches frémissantes suivant fascinées les déambulations du beau chat sur l’estrade, hypnotisées par ses ronronnements et attendant dans l’extase d’être dévorées, tantôt, vision de science-fiction, comme une assemblée de clones, de petits Lacans, de Lacans au petit pied comme dit si joliment la langue française, imitant ses soupirs, sa manière de s’habiller, essayant de parler comme lui, de se comporter comme lui, pensant que le reste viendrait avec...

            L’être monstrueux que représentait l’entité Lacan/auditoire, couple pervers communiant dans un langage secret et des rites sectaires, avec d’un côté le dévoilement des mystères, de l’autre la soumission et l’adoration, là se révélait l’imposture. Le murmure orgasmique saluant les traits d’esprit du grand homme, les mouvements balayant la foule au moment d’une trouvaille, l’abandon de ce grand corps aux ondes éveillées par la voix du Maître, il y avait là quelque chose de presque obscène pour qui, comme moi, ne participait pas. C’est la virtuosité, la maestria avec laquelle Lacan les maniait et les mêlait qui provoquait cet effet de ravissement sur son public. On se trouvait dans un système de plus en plus perfectionné de paradoxes percutants et irréfutables, d’injonctions paradoxales paralysantes et de démonstrations savantes exprimées dans le style que l’on connaît.

            Ce qui frappait d’abord au séminaire, c’était la langue employée par Lacan. Les langues et jargons techniques représentent une grosse difficulté pour la sténotypiste, mais ces langues sont toujours cohérentes : il faut saisir le code, c’est nécessaire et suffisant. Il n’en va pas de même pour le Parlacan, langue qui devenait de plus en plus compliquée au fil des années, alambiquée, tortillée comme l’étaient les cigares de la dernière période. Ce que l’on peut entendre ici, c’est : «je n’ai pas à vous communiquer de code » Ou « chacun a le droit d’inventer son code ». Outre la désinvolture et l’arrogance de ce discours latent, on est dans la confusion de langue dont parlait Ferenczi (“Psychanalyser IV“, Payot, 1982). Et, plus qu’un double langage, il y en a une multiplicité qui seraient tous également vrais ou valables, entre lesquels il n’y aurait pas à choisir. Ou encore un langage à la puissance x, tant de langages comprimés et condensés »

            « La sténotypiste doit être un instrument fidèle et silencieux, elle doit se faire le plus transparente possible ; son existence ne doit se manifester que par la qualité de ses comptes rendus. Cependant cette existence n’est pas totalement niée : du ministre affable au syndicaliste bougon - ou l’inverse - nous avons rencontré, mes collègues et moi, tous les degrés de la politesse ordinaire.

            Mais la médaille d’or en muflerie, je la décerne solennellement à Jacques Lacan qui, en douze ans, ne m’a pas adressé une fois la parole (tout se passait par l’intermédiaire de la très courtoise trésorière de l’Ecole Freudienne) et à qui j’ai eu affaire directement à deux reprises : la première fois quand j’ai dû aller en tremblant dans les coulisses du séminaire (aucun de ses proches n’osait !) lui annoncer que je devais impérativement partir cinq minutes plus tôt ; il devait donc s’arrêter un peu avant l’heure habituelle ; il répondit par un grognement et annonça ensuite à la salle : « La tapeuse m’a dit... » ; la deuxième fois, mon mari était venu me chercher ; Lacan lui dit « mais je vous connais, mon vieux ! » ; mon mari répondant modestement «je suis le mari de madame », il lui tourna le dos...

            Cela n’aurait qu’une valeur anecdotique, à ajouter aux nombreux épisodes rappelés avec une fidélité non exempte de perfidie dans l’ouvrage d’Elizabeth Roudinesco  (“Jacques Lacan“, Fayard, 1997). si Lacan n’avait été tant imité et si les ondes de ce comportement désinvolte - et c’est un euphémisme ! - ne continuaient à se répandre encore aujourd’hui : de Lacan à ses disciples, de ceux-ci à leurs analysants, de ceux d’entre eux devenus analystes à leurs patients, de ces patients à leurs proches et à leurs enfants. On est pris de vertige devant cette progression exponentielle si l’on pense qu’à une époque l’Ecole Freudienne a compté près de mille membres... »

Les derniers mots de Maria Pierrakos -psychanalyste : « Le paradoxe fondateur de notre travail est bien là : dans cette tension jamais apaisée entre espoir et désespoir, vivre en sachant que nous sommes mortels, lutter pour que la mâchoire de fer de la violence ne se referme pas sur nous et nos analysants tout en sachant que cette violence sera toujours là, croire aux longs chemins élaborés, travaillés, alors que nous baignons plus que jamais aujourd’hui dans la tentation de l’instantanéité. 11 s’agit de l’éthique de notre profession, du respect de l’humain notre semblable. L’arrogance de la certitude est une violence faite à nos analysants. « J’ai réussi là où le paranoïaque échoue » a dit Freud. Il serait navrant qu’au sein même de la psychanalyse, le paranoïaque fût en train de réussir. »

 
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