Terra & Antiterra


Accueil arrow Accueil arrow Notes de lecture arrow Romans arrow FERRANTE Elena : la saga de « L’amie prodigieuse » arrow Notes de lecture arrow Romans 
19-04-2024
Menu principal
Accueil
Culture
Pérégrinations et vagabondages
Ici Antiterra, à vous Terra...
Nos LECTURES de 2021 à 2015
Famulus
- - - - - - -
Menu utilisateur
TOUS |0-9 |A |B |C |D |E |F |G |H |I |J |K |L |M |N |O |P |Q |R |S |T |U |V |W |X |Y |Z


FERRANTE Elena : la saga de « L’amie prodigieuse »

Elena FERRANTE : la saga de  « L’amie prodigieuse »

I « L’amie prodigieuse » [L’amica geniale ] 430p

II « Le nouveau nom » [Storia del nuovo cignome] 622p

III « Celle qui fuit et celle qui reste » [Storia di chi fugge e di chi resta] 430 p

IV « L’enfant perdue »  [Storia della banbina perduta ] 550 p

traduit de l’italien par Elsa Damien, éd. Gallimard, 2014-2018 (I&II : folio, ) (edizioni E/O, 2011),

 

« Deux héroïnes d'une force telle que vous les verrez vivre

comme si elles étaient là devant vos yeux »

 

RESUMES : Volume I : Elena et Lila vivent dans un quartier pauvre de Naples à la fin des années cinquante. Bien qu'elles soient douées pour les études, ce n’est pas la voie qui leur est promise. Lila abandonne l'école pour travailler dans l'échoppe de cordonnier de son père. Elena, soutenue par son institutrice, ira au collège puis au lycée. Les chemins des deux amies se croisent et s'éloignent, avec pour toile de fond une Naples sombre, en ébullition.

Volume II : Le soir de son mariage, Lila -seize ans- comprend que son mari Stefano l’a trahie en s’associant aux frères Solara, des camorristes qu’elle déteste. De son côté Elena –la narratrice, poursuit ses études au lycée. Durant l’été les deux amies partent pour Ischia, où l’air de la mer est censé être bon pour Lila. A Ischia les deux amies font des rencontres qui amorceront des nouveaux rebondissements de leurs vies.

Volume III : Pour Elena, comme pour l’Italie, une période de grands bouleversements s’ouvre. Les événements de 1968 s’annoncent, les mouvements féministes et protestataires s’organisent. Elena, diplômée et entourée d’universitaires, écrit un roman qui est bien reçu par le public. Même si les choix de Lila sont radicalement différents, les deux jeunes femmes sont toujours aussi proches, une relation faite d’amour et de haine, telles deux sœurs qui se ressembleraient trop. Et, une nouvelle fois, les circonstances vont les rapprocher, puis les éloigner, au cours de cette tumultueuse traversée des années soixante-dix.

Volume IV (L’enfant perdue) : Elena divorce et reviens vivre à Naples avec ses deux filles et Nino Sarratore son amant qui n’a toujours pas quitté son épouse. Elle renoue avec Lila et elles mettent au monde chacune en même temps une fille. Les choses se précipitent et la disparition brutale de la petite fille de Lila annonce d’autres bouleversements. ….

 CITATION : «Je ne suis pas nostalgique de notre enfance: elle était pleine de violence. C'était la vie, un point c'est tout : et nous grandissions avec l’obligation de la rendre difficile aux autres avant que les autres ne nous la rendent difficile. »

 COMMENTAIRES : Une formidable et passionnante saga dans laquelle Elena Ferrante raconte cinquante ans d’histoire italienne. Car si -telle qu’elle nous est contée- l’histoire des vies tout à la fois entrelacées et séparées des deux héroïnes est effectivement passionnante en elle même et par ce qu’elle nous dit de la vie sociale à Naples et en Italie, les personnages de Lila et Linù sont si prenants et leurs choix et leurs relations sont en même temps si complexes qu’ils hantent littéralement le lecteur, lequel a en quelque sorte besoin de -si l’on peut dire- « digérer » Lila et Lenù, et de revenir en pensées vers elles pour saisir vraiment le sens de ce qui se passe dans leurs vies. Car cette saga n’est pas seulement un voyage dans le Naples populaire des années cinquante à soixante dix, mais le portrait de deux héroïnes inoubliables qu'Elena Ferrante traque avec passion et tendresse.

            L'écriture nette et précise d'Elena Ferrante sous une apparence détachée confère à ses héroïnes une force qui retient le lecteur, tous les lecteurs et pas seulement les lectrices ! Car contrairement à ce qu’on pourrait penser par facilité, c’est pas la condition féminine qui est la trame de cette saga, mais l’ambivalence même de la vie, sa beauté et son tragique, l’injustice fondamentale de la vie “telle qu’on la voudrait et qu’on ne peut pas la faire“. Ce qui est particulièrement admirable dans l’écriture d’Elena Ferrante, c’est qu’elle ne sombre jamais dans le pittoresque (et dieu sait pourtant si Naples, son décor prodigieux, sa société agitée et violente et son dialecte flamboyant s’y prêtent !). Et si dans ces récits les deux héroïnes deviennent très vite si vivantes que vous les voyez exactement comme si elles étaient devant vous, vous serez étonné de constater à la relecture, qu’elles ne sont pratiquement pas décrites physiquement, et qu’elles peuvent être l’une et l’autre à différents moments de leur histoire, prodigieusement belles ou affreusement laides tout en restant tout aussi prodigieusement elles-mêmes, au travers des péripéties qui transforment leurs vies. Ce qui témoigne de la force évocatrice du style de l’auteur (“la littérature ne montre pas, elle évoque“, disait Julien Gracq), et ce qui est aussi une vérité de la vie.

            Le quatrième volume de la saga napolitaine de « L’amie prodigieuse », était depuis si longtemps attendu qu’on pouvait craindre un essoufflement de l’auteur. D’autant que le troisième volume qui tournait un peu trop au tableau sociopolitique de l’Italie des années 70-80, était un ton en dessous des deux premiers ; lesquels -il est vrai- avaient littéralement époustouflé les lecteurs (et pas seulement les lectrices !) avec ses prodigieuses héroïnes. Là on retrouve ce qui nous avait fasciné : nos deux prodigieuses amies qui ne cessent de se séparer et d’être toujours liées, dans le mouvement et les contradictions de la vie. Car comme le note Fabienne Pascaud (de Télérama), « ce qui nous ensorcelle dans la saga d’Elena Ferrante c’est qu’y règne l’ambiguïté. On peut s’adorer et s’y détester à la fois, être mère et irresponsable avec ses enfants, fidèle et infidèle à soi-même, aux autres, dire la vérité et mentir. Le récit époustoufle parce qu’il porte, sans jugement aucun, toutes les contradictions de l’humaine condition ». Contradictions et ambiguïtés que le Naples d’Elena Ferrante exalte du grotesque au tragique … mais sans y mettre une fin décisive, ajoutant simplement ( !) la nostalgie aux désillusions de son histoire. En écho au destin de cette ville le dernier ( ?) volume de sa saga d’Elena Ferrante est marqué par une grande nostalgie, l’universelle nostalgie du temps écoulé, qui est l’ultime refuge de ceux qui vieillissent et qui voient disparaître pas seulement les êtres auquel ils furent attachés mais leurs propres attachements, ceux qui faisait pour eux le mouvement même de la vie. Car ce qui est perdu ici n’est pas qu’une enfant. Mais suprême habileté d’un auteur talentueux qui sait qu’un roman ne doit jamais finir, car chaque lecteur saura mieux que lui le prolonger, l’amitié entre Lina et Linù restera à la fin toujours en suspens.

Voir ci dessous la critique de Fabienne Pascaud de ce 4° volume (Télérama n°3549,  le 16/01/2018) : « L’hypnotisante saga napolitaine touche hélas à sa fin. Ecriture volcanique et souffle shakespearien. Un dernier volume qui tient toutes ses promesses » « Est-ce la fin de cette saga prodigieuse ? Prodigieuse, comme l’amitié folle liant, soixante ans durant, deux Napolitaines nées en 1944, dans les quartiers pauvres soumis à la Mafia. La blonde Lena (narratrice de la tétralogie) a fait des études, un brillant mariage, est devenue écrivain. La brune Lila, autodidacte diaboli­quement intelligente, est restée convulsivement attachée à sa cité, a réussi à y faire régner sa loi et son sens des affaires. On ne veut croire que ce soit l’ultime épisode de leurs destinées. Même si Elena Ferrante paraît ici perversement boucler la boucle des quelque deux mille pages qu’elle aura écrites avec le génie du coup de théâtre, du suspense, du rebondissement. Pour­quoi pas la même histoire vue à travers Lila ? D’autant que Lena l’imagine avec jalousie et terreur à la fin du livre…

            Si les quatre volumes de L’Amie prodigieuse ensorcellent (et celui-ci particulièrement), c’est qu’y règne l’ambiguïté. On peut s’adorer et s’y détester à la fois, être mère et irresponsable avec ses enfants, fidèle et infidèle à soi-même, aux autres, dire la vérité et mentir. Le récit époustoufle parce qu’il porte, sans jugement aucun, toutes les contradictions de l’humaine condition. Shakespearien dans son mélange de styles, de tons, du grotesque au tragique, du sensuel au sanglant. Naples et sa politique corrompue, sa splendeur, sa misère et ses catastrophes naturelles (ici , le tremblement de terre de 1980) en reste la principale héroïne, sur fond d’Italie en proie aux violences, de l’après-guerre à aujourd’hui. Elena Ferrante — dont on ignore toujours la réelle identité  — brasse admirablement l’historique et l’intime, le politique et le conte, au rythme d’un feuilleton-mélodrame qu’on ne peut abandonner, découpé qu’il est en courts chapitres faciles à dévorer. Sans l’entrave de vaines descriptions ou de besogneux commentaires. Tout y est incarné à travers l’action-réaction permanente des deux fusionnelles amies, qui se construisent et se détruisent, s’aiment et se haïssent, partagent amants, familles et enfants…

            Une manière d’écrire électrique, tout en muscles, sensations et images, qui sensibilise à merveille à la langue et aux mots, telles Lena et Lila, qui passent du dialecte napolitain à l’italien selon les désirs et les rages. Elena Ferrante nous fait goûter ainsi aux charmes de l’écriture bien au-delà des milles péripéties qui menacent sans fin ces existences volcaniques et absurdes, d’où le sens peu à peu s’efface. Chez elle, la manière de le raconter magnifie le pire. »

 

BIO : le mystère Elena Ferrante. Avant la saga napolitaine de “L’amie prodigieuse“, Elena Ferrante avait publié plusieurs autres romans : “L'amour harcelant“, “Les jours de mon abandon“, “Poupée volée“ (cf ici : ), qui avaient été bien accueillis par le public et la critique. Mais “L’amie prodigieuse“ et les volumes qui lui font suite - sont devenus un succès mondial et ont été traduits partout. Succès que renforce l’énigme autour de l’auteur. Car autour d’Elena Ferrante dont on ne connaît aucune photo, il existe un certain mystère. Certains soutenant même que Elena Ferrante serait le pseudonyme derrière lequel se cacherait un autre écrivain : Domenico Starnone, un Napolitain, comme elle, à moins qu'il s'agisse de son épouse, Anita Raja, traductrice de l'allemand, personnalité discrète, et surtout secrétaire d'édition chez E/O, l’éditeur italien d’Elena Ferrante dont les responsables gardent soigneusement le mystère tout en démentant toutes les hypothèses qui ne cessent de fleurir dans la presse (italienne et américaine).

En tout cas, tous ceux qui ont lu Elena Ferrante, ne pourront que partager la conviction d’Elsa Damien, sa traductrice en français : « c'est une femme, j'en ai la très forte conviction ». De même son identité napolitaine semble assurée : dans une des très rares interviews qu‘elle a données –et toujours par écrit, Elena Ferrante dit qu’elle a grandi à Naples dans une maison avec très peu de livres et parle ainsi des origines personnelles de ses romans napolitains : « Les relations entre les femmes n'ont pas de règles solides comme celles entre les hommes. Et l'écriture de mes romans m’a confirmé dans l'idée qu’il est impossible d'échapper à nos origines »

 “L’enfant perdue“, le quatrième roman de la saga d’Elena Ferrante, contribuera aussi à éclaircir le fameux mystère de son auteur. Après avoir lu ce roman personne ne pourra croire que son auteur ne soit pas une femme (tant est ici présent –parfois même trop !- le thème de la maternité), ni une napolitaine d’origine, et in fine qu’elle soit (ou fût) éditrice dans une grande ville lombarde. Ce qui rend très vraisemblable que Elena Ferrante soit le pseudonyme d’Anita Raja qui est secrétaire d'édition chez E/O, l’éditeur italien d’Elena Ferrante

Nonobstant l’inévitable curiosité concernant un auteur si talentueux, on ne pourra qu’approuver sa position de mettre ses lecteurs totalement et uniquement devant son œuvre, c'est-à-dire ce qu’elle a écrit en le tirant du meilleur d’elle-même. Il est juste -et louable- pour un auteur de vouloir effacer le brouillage que les péripéties de sa vie finissent par interposer devant ce qu’il a écrit. Comme l’écrit Vincent Raynaud –son éditeur chez Gallimard : « son oeuvre est encore en construction ; elle souhaite que la littérature soit au centre de la discussion, la vraie littérature, sans concession ; elle ne veut pas exister comme une figure publique et va très loin dans cette démarche ». En effet ! toutefois dans le monde actuel -aussi déculturé qu’avide de ragots et de sensationnel, maintenir cette position pourra paraître toucher à l’impossible…. Le mystère qui entoure Elena Ferrante entretient donc une curiosité assez perverse qui aura au moins l’effet utile d’attirer l’attention du public sur un auteur talentueux et contribuera ainsi à amener le lectorat contemporain à entrer de plain pied dans la vraie littérature, celle qui se soutient auprès du lecteur par ses seules qualités, lesquelles donnent à la vie ses vraies couleurs … chaudes et féroces.

JR-TAT- avril 2018

 

 
< Précédent   Suivant >
Design by Joomlateam.com | Powered by Joomlapixel.com |