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Emily DICKINSON

Emily DICKINSON : "Poésies"

« Quatrains » - et -  « Car l'adieu, c'est la nuit »

traduction et présentation de Claire Malroux (éditions bilingues)

Gallimard, Poésie, 2007, 2000 [1856-1886]

      Image

«  Emiliy Dickinson : l'extase poétique pure » 

            Extraordinaire destin que celui d’Emily Dickinson ! Comment un tel poète, un des plus grands de l’histoire littéraire mondiale a-t-il pu surgir au mitan du XIX° siècle dans le milieu confiné et étroit d’une petite ville puritaine de la Nouvelle Angleterre ?  Car Emily Dickinson -née le 10 décembre 1830 à Amherst dans le Massachusetts- a vécu jusqu'à sa mort en 1886, retranchée dans sa maison familiale, se mettant volontairement à l’abri des agressions temporelles du monde pour mieux se confronter aux tensions qui provoquent l’écriture. Et la plupart des 1758 poèmes qu'elle a écrits n’ont été donnés qu’au cours de l’immense correspondance qu’elle a entretenue avec quelques rares intimes. Ils n'ont jamais été publiés de son vivant, et c’est près d’un siècle après sa disparition qu’ils connurent une célébrité aujourd’hui universelle.

            Sa force poétique fulgurante, Emily la tient peut-être -et paradoxalement- de ce contexte. Du puritanisme, elle a tiré la rigueur inflexible qui lui a permis de consacrer sa vie toute entière à la poésie : le langage qui tue ou qui sauve. L’omniprésence du Dieu terrifiant des puritains l’a poussé bien au delà : vers une exaltation mystique, une extase de pur amour. Le sentiment du péché, de la culpabilité, elle l’a transfiguré pour faire de sa souffrance intérieure un véritable joyau. De ses doutes, de sa recherche d’absolu, de son mépris des conventions, elle a fait un emblème tourmenté et ambivalent de la Pureté.

QUELQUES POEMES d' Emily Dickinson

Water, is taught by thirst.

Land - by the Oceans passed.

Transport - by throe –

Peace, by its battles told -

Love, by memorial mold -

Birds, by the snow.

(93)

 L'Eau, s'apprend par la soif.

La Terre - par les Mers franchies 

L'Extase - par les affres –

La Paix, par le récit de ses combats -

L'Amour, par l'effigie –

L'Oiseau, par la neige.

 

For each extatic instant

We must an anguish pay

In keen and quivering ratio

To the extasy -

For each beloved hour

Sharp pittances of Years

Bitter contested farthings -

And Coffers heaped with tears !

(109)

Dropped into the Ether Acre !

Wearing the Sod Gown –

Bonnet of Everlasting laces –

Brooch - frozen on !

Horses of Blonde -

And Coach - of Silver -

Baggage - a Strapped Pearl !

Joumey of Down -

And Whip of Diamond -

Riding to meet the Earl !

(286)

Chaque instant extatique

Se paie d'un tourment

À vive et frémissante proportion

De l'extase -

Chaque heure qui fut chère,

De maigres rations d'Années –

De sous disputés âprement -

Et de Coffres remplis de larmes !

 

Lâchée dans l'Arpent d'Éther !

En Robe de Gazon -

Bonnet de dentelles Éternelles -

Broche - de gel !

Chevaux d'Ambre -

Et Coche - d'Argent -

Pour bagage - une Perle Sanglée!

Voyage de Duvet -

Et Fouet de Diamant -

Roulant pour rencontrer le Comte !

 

 

            Sa poésie est vivante, «et  ne cesse de manifester son éveil et d’ouvrir les yeux sur tout et même de regarder l’irregardable » (Claire Malroux). La fulgurance de cette poésie s’impose d’emblée au lecteur, au delà de son secret et de ses envoutantes obscurités. De la vie et de ses tensions, sa poésie est le reflet parfait : rythmes, scansions (tirets, points d’exclamation), lexique (aux sources savantes et religieuses) et calligraphie mêmes de ses poèmes expriment littéralement ses tourments et ses extases et son extraordinaire faculté d’émerveillement. Loin de l’ouvrage de dame, de la dentelle qu’ont crus y voir les critiques de son époque, c’est une poésie volcanique mais très élaborée, qui manie la métaphore et l’oxymore avec précision, qui sait même feindre la naïveté et qui laisse parfois percevoir un humour terriblement incisif. Pour mieux apprécier cette poésie, « les instants de jouissance terrestre qu’elle exalte, les moments d’épiphanie qu’elle connaît », il faut aussi au lecteur français tenir compte du vocabulaire de la Bible qu’elle emprunte par de « subtiles subversions du sens, ainsi le terme Bliss (félicité) en vient-il à signifier délices terrestres, volupté ».

            Le lecteur français a toutefois la chance de disposer d’une édition bilingue des poésies d’Emily Dickinson, donnée en français dans une admirable traduction par Claire Malroux qui nous apporte dans son introduction et par ses notes finales une incomparable ouverture sur la sensibilité de cet extraordinaire poète qu’est Emily Dickinson.

 

 

PS 1 * Seule la poésie d’Arthur Rimbaud offre autant de fulgurances que celle d’Emily Dickinson. Rimbaud qui malgré les apparentes différences d’inspiration et de métrique qui semblent les opposer, partage avec Emily la même force de révolte et ce dédain total de la postérité littéraire et dont le destin –apparemment bien différent de celui d’Emily- recèle pourtant autant de mystère que celui de la recluse volontaire. De la chambre de la maison familiale d’Amherst au Harrar, il y a moins de distance que la géographie n’en compte. Et l’on ne peut s’empêcher de rêver à ce qu’aurait donné une rencontre (épistolaire bien sur, et surmontant l’obstacle de la langue !) entre le révolté de Charleville et l’exaltée recluse d’Amherst ! Que nous aurait réservé une «correspondance» entre ces deux « voyants » ?

PS 2 * Terence Davies, un cinéaste américain  a récemment (en 2016) réalisé un film sur d’Emily Dickinson. Un film qui démontre à la fois la richesse de la poésie  d’Emily Dickinson par l’étendue des interprétations qu’elle a pu suggérer, mais aussi l’étendue des « malentendus » qu’a parfois suscité ce qu’on connaît de sa vie terrestre. Certes ce film est un « biopic » soigné, bien interprété et avec de belles images, mais le réalisateur –même s’il est sans doute sincèrement admirateur d’Emily Dickinson, est passé complètement à côté de ce qui fait l’incomparable originalité de la poésie d’Emily Dickinson. Dans ce film il prête à Emily Dickinson une révolte d’adolescente moderne et la met en scène dans des drames hystériques qu’elle toujours veillé à éviter. Le titre même du film : « Emily Dickinson : A quiet passion » démontre que Terence Davies n’a rien compris. Ce n’est pas une passion tranquille qui habitait Emily Dickinson, mais les affres et les tourments de l’extase et de l’absolu. 

JRC –TAT mai 2016

 

 
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